A deux mois du scrutin décisif, le Maroc réalise une belle remontée. Aujourd’hui, notre dossier a comblé son retard et nous avons retrouvé une crédibilité internationale. Suffisant pour gagner ? Par Réda Allali
Résumé de l’épisode précédent : le Maroc est candidat, pour la quatrième fois de son histoire, à l’organisation de la Coupe du monde. Notre dossier a été conçu dans le scepticisme général, tant du côté de la FIFA que de la population marocaine, toutes deux lassées de voir les promesses s’accumuler et les déceptions avec.
À deux mois du scrutin décisif, prévu le 15 mai, la situation est très différente. Pour le Marocain, ce qui était un rêve prétentieux relève aujourd’hui d’une possibilité sérieuse. La raison de ce retournement est claire : la performance des Lions de l’Atlas en Tunisie. En arrivant en finale, après avoir offert un beau spectacle tout au long du tournoi, les joueurs de la nouvelle génération ont réconcilié les Marocains avec le football. L’onde de choc provoquée en Tunisie a résonné dans les rues marocaines, et nos autorités ont redécouvert l’extraordinaire pouvoir de mobilisation du ballon rond. Quand les footballeurs gagnent, c’est tout le pays qui sourit, le patriotisme et l’optimisme reviennent au galop. Ce n’est pas un luxe, quand la majorité des jeunes a pour unique objectif l’émigration dans les plus brefs délais. Autre élément important, la jeunesse de l’équipe en question, qui est bel est bien constituée de joueurs qui, en 2010, porteront toujours le maillot national. Pourtant, il faut garder les pieds sur terre : il n’y a aucune corrélation directe entre ces derniers résultats et l’obtention d’une Coupe du monde. Rappelons qu’il faut convaincre non pas une population marocaine (c’est aujourd’hui fait, et ce n’est déjà pas mal), mais bien 24 votants.
Néanmoins, il existe une très nette inversion de tendance dans la presse internationale, qui parle aujourd’hui du Maroc comme "un sérieux challenger pour l’Afrique du Sud" (Associated Press) ou d’une "nation chaleureuse qui a les possibilités d’organiser la Coupe du monde" (Reuters). C’est le Daily telegraph, quotidien londonien, qui résume le sentiment général : "Le Maroc est très proche du favori, l’Afrique du Sud", avant de rapporter les mots d’un des votants : "L’avantage va au Maroc, qui déploie actuellement beaucoup d’efforts". Le ton est à l’optimisme, donc, ou plutôt à la surprise de voir le Maroc présenter un dossier sérieux au lieu de se contenter du rôle qu’on lui avait attribué, celui de faire-valoir de la très puissante Afrique du Sud. C’est là le résultat de la politique médiatique de l’équipe Maroc 2010, qui organise régulièrement à l’attention des journalistes des tournées de visites. On ne communique plus autour de maquettes et de concepts virtuels, on exhibe les travaux en cours. Car il y a bien des stades qui se construisent à Agadir, Marrakech et Tanger. Rappelons que le Maroc s’était engagé sur ces trois nouveaux stades quelle que soit l’issue du vote, les trois autres stades à construire (El Jadida, Meknès et Casablanca) étant conditionnés par l’obtention de la Coupe du monde. À Marrakech, la tribune grimpe, enfin, et dans les deux autres sites, la partie obscure et ingrate - les excavations - sont sur le point d’aboutir. Nous sommes en conformité avec le planning annoncé, calculé large il est vrai.
À la FIFA
Du côté du comité de candidature, on se dit donc optimiste, et surtout conscients que la bataille ne se fait plus sur le terrain des infrastructures mais sur le plan politique. "À partir du moment où nous avons présenté un bon dossier technique, il est inutile de revenir dessus, c’était juste une condition nécessaire pour être dans la course", explique ainsi Youssef Bencheqroun, responsable de la logistique et de la sécurité. Il faut aujourd’hui convaincre les votants, qui n’ont pas encore reçu les rapports d’inspection de la FIFA. C’est Saâd Kettani qui s’en charge lors d’incessantes tournées. Il les a déjà tous rencontrés au moins une fois. Nous avons déjà deux voix acquises, la France et l’Espagne, deux pays qui font actuellement campagne publique pour nous. On considère aujourd’hui que la majorité des votants n’ont pas fait leur choix. En position d’attente, ils espèrent un signe de la CAF (Confédération africaine de football) pour se décider… et le signe ne vient pas ! C’est qu’il règne à la FIFA une sorte d’angoisse diffuse, un vague regret d’avoir promis si tôt la coupe à l’Afrique. La solution, c’est de s’en remettre au maximum aux choix de Issa Hayatou, patron de la CAF nouvellement réélu. Si le Camerounais refuse de s’exprimer publiquement, il se dit qu’il serait favorable à une Coupe du monde marocaine, au moins pour deux raisons. La première, c’est que le Maroc ne l’a jamais trahi, lors de sa campagne pour la FIFA par exemple et la seconde, c’est qu’il s’agit d’un opposant à Blatter notoirement pro-Afrique du Sud. Nous sommes donc dans une situation d’attente, où le lobbying doit être féroce, si l’on souhaite contrer la présence charismatique de Nelson Mandela.
Côté concurrents
Chez nos concurrents, la situation est plus mitigée : la Coupe d’Afrique des nations a fait beaucoup de mal à l’Égypte. Non pas à cause de l’échec sportif, mais bien à cause de la réaction gouvernementale qui l’a suivi. L’Égypte a commencé par dissoudre sa fédération nationale, avant de se rappeler que la FIFA n’appréciait pas du tout ce genre de décision (la Côte d’Ivoire a même été suspendue sportivement deux ans pour le même motif) et d’imposer une démission collective. Concrètement, cela signifie que l’équipe en charge du dossier "Egypt 2010" est sortie décrédibilisée de cette opération. La Tunisie et la Lybie se sont vues sommées par la FIFA de scinder leurs candidatures, ils n’ont obtempéré que tardivement, accumulant un retard important sur leurs concurrents. Précisons par ailleurs que la candidature tunisienne est très peu présente à l’international : les panneaux publicitaires "Tunisie 2010" ont été placés à la dernière minute sur les stades de la CAN, pour équilibrer ceux placés par leur concurrents. Le sentiment général est donc qu’il s’agit plus de candidatures d’image que de vrais dossiers. En passant, il faut également en profiter pour tordre le coup à une rumeur tenace qui voudrait que le Maroc ait "donné" la finale contre la Tunisie contre un soutien à notre candidature. Outre l’incohérence sportive d’une telle thèse (il suffit d’avoir côtoyé les joueurs pour le sentir), il faut rappeler que la Tunisie ne dispose aujourd’hui que d’une voix garantie, la sienne. On imagine mal le deal…
Et l’Afrique du sud ?
Reste enfin la toute puissante Afrique du Sud, le favori du vote. Nous avons eu beau jeu de souligner à maintes reprises la sécurité des rues marocaines, comparées à celles de Johannesbourg et la légendaire stabilité du royaume chérifien. Le problème, c’est que nous avons désormais à gérer le dossier terrorisme : Casablanca, puis Madrid… Après ces derniers attentats, le Maroc apparaît comme un pays capable d’exporter des kamikazes, ce qui n’est pas flatteur. On a beau expliquer que le terrorisme peut frapper partout sur la planète, il va falloir lutter contre cette nouvelle image. Plus généralement, certains considèrent l’idée de donner une Coupe du monde à l’Afrique en soi suffisamment audacieuse pour ne pas se compliquer davantage la tâche en choisissant un pays arabo-musulman… Par ailleurs, pour beaucoup de votants, qui dit Afrique dit Afrique du Sud, le Maroc étant considéré comme appartenant à une autre sphère. C’est bien cette constatation qui a conduit le comité Maroc 2010 à proposer la création d’un fonds de financement pour le football africain, intitulé "Football sans frontières". L’engagement du Maroc de participer à ce fonds, via les aides de la FIFA octroyées pour l’organisation est une façon d’ancrer dans l’esprit des votants le Maroc dans l’Afrique… à coup de dollars !
Dans un monde idéaliste, avec des votants humanistes, le Maroc apparaît comme un bon choix : une chance donnée à un pays de décoller économiquement et de s’ancrer dans le monde moderne. Mais, dans la réalité des choses, c’est bien l’Afrique du Sud qui apparaît, malgré nos efforts, comme le choix "tranquille", l’option sûre malgré son manque de "culture foot". Mais entre les deux concurrents, le fossé se rétrécit, ce qui nous fait regretter encore une fois de ne pas avoir lancé ces fameux stades plus tôt
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