C’était en 1990. L’Algérie, sur ses terres, remportait la Coupe d’Afrique des Nations. Le dernier fait d’arme d’un pays du Maghreb. Depuis, si la Tunisie a participé aux deux dernières Coupes du Monde de la FIFA, c’est sans parvenir à passer le premier tour. Tout comme le Maroc en 1994 et 1998. Quant à l’Algérie, elle n’a plus participé à l’épreuve reine depuis 1986. Concernant la CAN, le bilan est allé en se délitant. Ces trois équipes, qui trustaient systématiquement des places en demi-finale au moins dans les années 1980, ont considérablement baissé de régime dans les années 1990. En 2002, le bilan maghrébin était même catastrophique avec aucune équipe capable de passer le premier tour...
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Dès lors, la finale Tunisie – Maroc cette année en CAN, et l’excellente place de quart de finaliste de l’Algérie ont de quoi surprendre. Abdelamalek Cherrad, attaquant algérien de 23 ans, symbole de ce retour en force de la jeunesse maghrébine, possède une explication au long trou noir. "Dans les années 1980, le football maghrébin tenait le haut du pavé en Afrique, et même dans le monde. Selon moi, cette réussite a fait que tous croyaient que tout était acquis, qu’il n’était plus besoin de travailler, que nous étions ‘arrivés’. Mais pendant ce temps-là, les pays d’Afrique noire ont ouvert des centres de formation, comme au Cameroun ou en Côte d’Ivoire. Ils ont fini par nous devancer", estime le Niçois.
Pour le Marocain Talal El-Karkouri, pilier des Lions de l’Atlas, le problème venait plutôt du manque de stabilité chronique. "Je crois que ce qui a troublé l’équipe nationale ces dernières années, ce sont les changements incessants, de joueurs ou du staff". Rabah Saadane, entraîneur de l’Algérie, devenu Directeur technique national, y voit également la raison de cette longue traversée du désert. "Auparavant, les échéances immédiates étaient trop souvent privilégiées, on ne réfléchissait pas sur le moyen ou long terme. Le grand problème en Afrique, et le Maghreb n’y coupe pas, c’est la stabilité de la performance, la stabilité des staffs. Or, ce sont des données fondamentales pour la réussite". Hamouda Ben Ammar, président de la Fédération tunisienne, sait lui-aussi que cette partie là est cruciale. "Il faut que nous tentions d’avoir une continuité dans le travail. Les changements, tant au niveau de l’équipe que du staff technique, ne sont pas favorables."
El-Karkouri estime que le Maghreb, avec son football léché, n’est pas avantagé par les conditions de compétitions de l’Afrique Noire. "Dans des pays où il fait très chaud, avec des terrains pas toujours de bonne qualité, les équipes maghrébines ne peuvent pas toujours s’exprimer correctement. Ce genre de conditions est plus favorable au Cameroun ou au Nigeria par exemple, alors que nous, nous avons besoin de faire beaucoup circuler le ballon."
L’expérience européenne
Et de l’avis de tous, les Maghrébins ont progressé car ils sont presque tous professionnels, en Europe. De quoi dépasser les lacunes physiques d’antan. "Nous avons mis de l'envie et de l'agressivité dans nos matches. Alors que nous étions souvent dépassés ces dernières années, nous avons cette fois su répondre présent physiquement aux équipes d'Afrique Noire", raconte Selim Benachour, le jeune meneur de jeu tunisien. "Le fait que nous soyons tous ou presque en France nous apporte beaucoup, c’est évident. Nous avons l’habitude des grands matches. Et surtout, nous avons une culture de l’efficacité", analyse Cherrad.
Même son de cloche chez El-Karkouri, qui évolue au Paris-SG. "Désormais, 90% des joueurs maghrébins dans les équipes nationales sont des professionnels. En Europe, nous progressons énormément physiquement. De plus, on apprend à bien se placer sur le terrain, la culture tactique est importante". Excellents techniciens, et désormais au point physiquement et tactiquement, les Maghrébins n’ont plus rien à envier aux autres nations africaines. "L’arrivée des joueurs tunisiens à l’Ajax d’Amsterdam pour Hatem Trabelsi, ou certains dans le championnat d’Espagne a contribué à tirer vers le haut l’équipe nationale", assure Ben Ammar.
La question qui reste posée est celle de l’avenir. Pourra-t-il être aussi radieux que ne l’a laissé présager la CAN ? Rien n’est moins sûr, mais tous ont de l’espoir. "Petit à petit, et même si les résultats ne suivront pas forcément lors des qualifications pour la Coupe du Monde en Allemagne, l’équipe ira de mieux en mieux et nous la ramènerons parmi les meilleures équipes d’Afrique", considère Saadane. Benachour, tout en restant prudent, croit lui aussi qu’un pallier a été franchi : "aujourd'hui que nous avons progressé sur le plan physique, je m'attends à ce que nous rééditions ce genre de performances à l'avenir."
Cherrad compte sur les prochaines échéances, en particulier les qualifications pour la Coupe du Monde de la FIFA, Allemagne 2006, pour asseoir le retour du Maghreb. "Les qualifications pour la Coupe du Monde, avec autant de matches à pression, devrait nous offrir une expérience considérable. Nous sommes des joueurs intelligents, nous allons apprendre à gérer nos rencontres : quand accélérer, quand ralentir le jeu, quand mettre en touche, etc."
El-Karkouri, d’un naturel méfiant, préfère rester sur ses gardes. "Nous espérons tous au Maroc qu’enfin, après cette CAN réussie, nous allons pouvoir conserver ce niveau. Mais je m’attends à quelques difficultés tout de même. Les supporters vont être très exigeants après notre performance en Tunisie : ils vont vouloir les résultats et la manière, à chaque fois."
Pour Ben Ammar, il faut persévérer, un mot nouveau dans le football maghrébin, et qui pourrait bien faire la différence. "J’ai confiance dans notre groupe, qui est jeune et possède une belle marge de progression. Sur toutes les lignes, la moyenne d’âge est très basse. Si nous pouvons persévérer avec ce groupe, dont plusieurs éléments pourraient aller aux Jeux Olympiques, puis participer aux qualifications pour Allemagne 2006, avant de jouer la Coupe des Confédérations 2005, je pense que nous allons pouvoir assurer une continuité." C’est tout ce qu’il faut souhaiter au football du Maghreb...
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