Plusieurs dizaines de millions de dirhams sont brassés annuellement par le football au Maroc. Le pactole aurait été plus important n'était la gestion archaïque du secteur.
« Tu seras un homme mon fils ». Le poème de Rudyard Kipling, des décennies après sa disparition, a été une véritable leçon à retenir de la campagne publicitaire qui avait accompagné la Coupe du Monde 2002. Adidas avait misé 6 millions d'euros pour soutenir l'équipe de France et avait pour l'occasion réalisé un spot télé rythmé par le poème de l'auteur du Livre de la jungle. Et face à la sortie prématurée des Bleus de la compétition, les publicitaires de l'équipementier trouveront l'astuce pour poursuivre la campagne. Ils remixeront la pub en utilisant, cette fois-ci, une partie beaucoup moins triomphaliste du même poème. Résultat : la deuxième version marquera encore plus que la pub originale. Un scénario du genre est trop beau pour être observé au Maroc. Chez nous aussi (toute proportion gardée évidemment), la participation de l'équipe nationale aux phases finales de la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) a été synonyme pour publicitaires et annonceurs d'une campagne extraordinaire. La liesse populaire qui avait accompagné le parcours remarquable des Lions lors de la dernière édition de la CAN avait démontré à quel point le public, qui pouvait être touché par le ballon rond, était large. Alors cette fois-ci, toutes les grandes entreprises ont affûté leurs armes pour s'assurer une visibilité lors de cet événement. Une frénésie qui s'arrêtera très rapidement. Dès la deuxième apparition du Onze national dans la compétition, ses chances de qualification au tour suivant relevaient du miracle. Les sociétés arrêteront aussitôt des plans marketing qui avaient coûté une petite fortune. « Avec la piètre prestation de l'équipe, le foot n'était plus un vecteur de communication sexy », confie un publicitaire.
La fédération attaque
Encore plus décevant, on assistera, avant même l'élimination effective de l'équipe nationale, à une bataille juridique qui freinera les ardeurs des plus courageux des marketteurs. La Fédération introduira en référé une plainte contre Médi telecom pour avoir utilisé des affiches réunissant trois joueurs de l'équipe nationale. Il s'agit du trio Chamakh, Hadji et Kharja qui avaient signé des contrats individuels avec l'opérateur télécoms pour des montants respectifs d'un million, sept cent mille et cinq cent mille dirhams. La Fédération justifiera sa requête par une utilisation « sauvage » de l'image de l'équipe nationale qui porte atteinte à son sponsor officiel Maroc Telecom (concurrent direct de Méditel). « On aurait aimé voir ce genre de réactions au lendemain de la CAN 2004. A l'époque, plusieurs annonceurs se sont payé le luxe de placarder des affiches de l'ensemble de l'équipe nationale sans verser le moindre sou à la Fédération », rappelle cet observateur. Or dans ce cas, il ne s'agit même pas d'image collective de l'équipe mais plutôt d'image individuelle des joueurs. De plus, la jurisprudence internationale permet aux joueurs de conclure des contrats individuels à leur guise en dehors des contrats réalisés par l'équipe. Mieux encore, un annonceur peut conclure des contrats individuels avec un maximum de cinq joueurs d'une même équipe. La justice marocaine ne l'entendra pas de cette oreille. Elle sommera Méditel d'arrêter sa campagne sous peine de lourdes amendes ( quatre cent mille dirhams par jour d'astreinte). L'opérateur avait toutefois déjà mis fin à son joli coup marketing et largement récolté les fruits d'un investissement publicitaire (hors contrat avec les joueurs) d'environ 5 MDH. A titre d'exemple, 120T000 packs Chamakh -produit-phare de la campagne Méditel- ont été écoulés en l'espace de 3 jours seulement. Mais Méditel ne compte pas clore le dossier pour autant. « Nous allons explorer toutes les voies juridiques normales car nous restons attachés aux joueurs qui ont bien voulu associer leur image aux valeurs de notre entreprise », affirme Moncef Belkhayat, directeur marketing de la compagnie.
Ahizoune en ligne
Pour les observateurs avisés, le litige ne concernait pas la Fédération mais plutôt Maroc Telecom. « Déjà en 2005, quand Méditel a signé avec Chamakh, en janvier, certains membres de la Fédération ont voulu mettre la pression sur Zaki pour ne plus faire appel aux services du jeune Bordelais », assure-t-on. En effet, Maroc Telecom a le quasi-monopole de l'utilisation du football marocain. Partenaire officiel de la Fédération, la société dirigée par Ahizoune affiche son logo sur les maillots de toutes les équipes évoluant dans le championnat national et plante au moins six panneaux lors de chaque match. Une telle visibilité pourrait se justifier par l'important soutien financier apporté à la Fédération : 20 MDH par an. Toutefois, la reconduction du contrat intervenu en juin 2005 a eu lieu par accord tacite pour 5 ans. Or, le bon sens aurait voulu qu'on mette en concurrence les différents prétendants via un appel d'offres en bonne et due forme. A cela, Hamid Souiri, président de la commission marketing de la Fédération, se contente de rétorquer. « Il nous a été impossible de mettre en concurrence les opérateurs ». Or des sources proches du dossier affirment qu'une « surenchère téléphonique a remplacé l'appel d'offres et Maroc Telecom, pour clore le dossier, allongera 5 MDH supplémentaires par rapport à son ancien contrat ». Mais encore plus déterminant, grâce à un lobbying efficace via la Fédération, Maroc Telecom va parvenir à barrer la route à son concurrent. Méditel est en effet « persona non grata » dans le monde du football : aucun maillot de club ne porte son logo, encore moins les panneaux sur les stades et aucun accès aux écrans publicitaires qui accompagnent les matchs. « Ce n'est que lorsque l'équipe nationale joue à l'étranger que nous pouvons acheter de l'espace publicitaire sur les terrains », confirme Belkhayat.
Gestion d'image
En se jouant sur le terrain du football, cette bataille commerciale entre deux concurrents met la lumière sur une gestion acrobatique de l'image de l'équipe nationale. Une image que l'on n' arrivait même pas à vendre, il y a une dizaine d'années. Il a fallu attendre 1996 et l'arrivée d'un poids lourd dans ce domaine, Jean-Claude Darmon, (avec sa société Sport-five) pour s'y mettre. Ce dernier décrochera, pour son premier contrat, l'astronomique commission de 40 % des recettes de sponsoring récoltées. Partis de rien, les responsables de la Fédération ne pouvaient que s'en réjouir. Car la touche Darmon fera rapidement son effet. Maroc Telecom, en pleine mutation à l'époque, signera un contrat pour 60 MDH sur 4 ans. Plusieurs autres enseignes nationales et internationales suivront pour gonfler le budget de la Fédération alimenté essentiellement par la manne du ministère et une contribution annuelle de Bank Al-Maghrib d'environ 10 MDH par an. En 2000, le contrat de Darmon arrive à terme. Et pour sa reconduction, la Fédération sera plus exigeante : la commission est révisée à 22,5 % et l'obligation de résultat est fixée à 120 MDH de recettes sur la durée du contrat. Cette fois-ci, il n'arrivera pas à terme pour « une querelle avec des membres de la Fédération », à en croire cet observateur. Mais c'est un ancien de chez lui qui reprendra le flambeau après quelques mois d'auto-gestion. Il s'agit de Zaki Lahbabi à travers sa société Transatlas Sport Management (TSM).
Le pari de TSM
Il ne réussira pas pour autant à formaliser son contrat avec la Fédération. L'appel d'offres lancé à l'époque connaîtra quatre soumissionnaires mais la procédure n'ira pas jusqu'au bout. Il n'empêche que TSM, de par sa proximité avec la Fédération et surtout l'expertise de son management, arrivera à gérer quasi-officieusement les contrats de sponsoring pour l'image nationale. Ses réalisations jusque-là sont prometteuses. En deux ans, la société a décroché deux contrats de sponsoring totalisant quelque 3,5 MDH par an. L'activité de vente de panneaux publicitaires sur les stades a également été dopée avec une réalisation moyenne d'un million de dirhams pour chaque match de l'équipe nationale joué à domicile. Mais cette opacité des rapports limite le champ d'action de la société. « Avec une meilleure communication, l'on peut atteindre des chiffres beaucoup plus importants », assure le directeur de TSM. Ce dernier a de grandes ambitions en matière de gestion d'image de l'équipe nationale et surtout une stratégie toute faite. « La priorité, ce sont les droits de retransmission à la télévision. Il faut donner un contrat d'exclusivité à une seule chaîne de télévision. En parallèle, il faut être plus exigeant par rapport à un cahier des charges qui prévoit des moyens de production à la hauteur. Le foot est un spectacle, il ne faut jamais l'oublier », explique Lahbabi. Aujourd'hui, les droits télé rapportent à la Fédération environ 15 MDH. La moitié provient des chaînes nationales tandis que l'autre moitié est allongée par le groupe de télévision saoudien ART. Pour le directeur de TSM, même en accordant l'exclusivité à une société, il ne faut pas espérer en tirer davantage à court terme. « Dans quelques années, des packages peuvent être proposés aux sponsors mais cela suppose une normalisation des rapports avec les diffuseurs ». Une normalisation qui passe évidemment par des contrats bien ficelés. Un vœu pieux si l'on se fie à la perception de ce business de spécialiste par l'actuel bureau fédéral.
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