Jeudi 29 avril. J-16 avant le tirage au sort devant désigner le pays hôte du Mondial 2010. Au Maroc, on ne parle que de foot. La fièvre est certes montée d’un cran depuis lundi 26 avril, début de semaine qui a vu l’équipe nationale affronter, à Casablanca, l’Argentine en match amical. La rencontre s’est soldée par une courte victoire des visiteurs (0-1). Peu importe, l’enjeu est autrement plus important.
Depuis bientôt un mois, le Maroc tout entier se positionne par rapport à ce 15 mai fatidique. Les supporters espèrent, les chefs d’entreprises aussi. Le patron d’un des plus grands groupes du pays, qui devait nous accorder une interview mardi 27 avril, a finalement décidé de reporter la rencontre… après le 15 mai. Il n’est pas le seul dans cet état d’esprit. Si les milieux économiques souhaitent aussi ardemment que le Maroc décroche l’organisation de la Coupe du monde 2010, c’est que le formidable élan qui s’en suivrait créerait des opportunités immenses. D’abord la perspective d’abriter la fête mondiale du football entraînera le Maroc dans un processus d’accélération des chantiers d’infrastructures pour être au rendez-vous. Une véritable mise à niveau qui ne concerne pas que les stades et les routes. Hôtels, hôpitaux, call centers, marchés d’acquisition de matériel technologique, sans compter les nouveaux métiers qui apparaîtront, chemin faisant, il y a à boire et à manger et ceux qui ont de l’argent et des idées seront les premiers à se positionner. Ensuite, par l’effet induit sur l’économie que génère l’organisation même d’une coupe du monde. Après l’édition de juin 1998, la France avait connu trois années successives de forte croissance, soutenue en grande partie par la consommation. Il en serait de même pour le Maroc, à commencer par les 4 milliards d’euros que dépenseront les visiteurs au cours d’un seul mois. Le Mondial 2010 est en mesure de procurer cette montée en régime dont a besoin l’économie marocaine avec son éternel équation du PIB qui peine à dépasser, depuis 15 ans, un taux de croissance moyen de 3% ; insuffisant pour résorber le taux de chômage. La suite, on la connaît. Le Mondial 2010 est aussi en mesure de changer les mentalités. De cela, les Marocains sont conscients.
4 milliards d’euros seront dépensés par les visiteurs en un mois.
L’on comprend donc la fébrilité qui agite le pays. A tel point qu’il se murmure au sein du gouvernement, et plusieurs ministres l’ont confié à La Vie éco, que le remaniement ministériel, dont la perspective agite le landerneau politico-médiatique depuis des mois, aura lieu… après le 15 mai. Une reconfiguration de l’équipe Jettou qui, bien entendu, serait adaptée aux programmes des chantiers à entamer et/ou accélérer. L’idée n’est pas saugrenue, mais la décision revient au Souverain et c’est lui qui jugera du moment opportun.
A côté de cela, l’enjeu est également politique. Pris entre ses aspirations d’ouverture, de modernité et son image de pays arabe, musulman, le Maroc a plus que jamais besoin de se démarquer pour sortir de la sphère des pays en développement qui «peuvent mieux faire». Des galons qu’il gagnera nettement plus vite si la chance lui sourit ce 15 mai. Un peu comme l’Espagne, qui a pris son élan après avoir hérité du Mondial en 1982.
Mais s’agit-il de chance ? Un peu, le reste étant du travail et force est de reconnaître que cette fois-ci, du travail, il y en a eu.
Trois fois le tour du monde pour rencontrer les votants et les politiques
Depuis le 30 septembre dernier, date à laquelle le dossier technique du Maroc a été déposé au siège de la FIFA et après la visite des inspecteurs intervenue une semaine après, l’équipe en charge du dossier de candidature du Maroc a entamé une campagne de lobbying tous azimuts. Saâd Kettani, président de Morocco 2010, a fait le tour du monde par trois fois, rencontré personnellement et plus d’une fois les 24 membres votants de la FIFA et, data show en main, présenté le dossier Maroc des dizaines de fois, lors des congrès de la FIFA qui ont été nombreux à se tenir cette année, centenaire de la fédération oblige. Dernièrement, il était en Asie et, sur le chemin du retour, il a fait un crochet par Chypre, où se tenait le congrès de la FIFA. «Nous avons tellement pris l’habitude de le voir entre deux avions se trimbalant avec son PC qu’on a l’impression qu’il ne s’en sépare pas même pour dormir», nous confiait mardi 27 avril l’un des membres de Morocco 2010. Et quand il n’est pas en voyage ? «Il est soit au bureau de l’association soit chez le Premier ministre», ajoute-t-on. Le Roi Mohammed VI porte une attention particulière à la candidature du Maroc pour le Mondial 2010 et Driss Jettou suit de très près le dossier. Ces derniers temps, il a reçu Saâd Kettani un jour sur deux et n’hésite pas à aller au charbon s’il le faut.
Le politique au service du sport ? Le jeu et l’enjeu en valent la chandelle. Tous les voyages récents du Premier ministre, au Mali, au Cameroun ou encore en Thaïlande sont placés sous le signe de Maroc 2010. La semaine prochaine il sera en Russie. Point commun entre ces quatre pays : ils ont tous un votant qui donnera sa voix le 15 mai pour désigner le pays hôte du Mondial 2010. Mais il n’y a pas que les pays d’origine des votants que l’on prospecte. Jeudi 29 avril, le Premier ministre entreprenait un voyage-éclair en Italie pour rencontrer Silvio Berlusconi, manière d’avoir un appui supplémentaire.
Pour renforcer le battage politique, Mohamed Benaïssa, le ministre des Affaires étrangères, est aussi mis à contribution. Au cours du mois d’avril, il s’est rendu en Amérique Latine et au Moyen-Orient et il n’est pas exclu qu’il reprenne son bâton de pèlerin pour aller glaner un soutien. Pendant ce temps, à Rabat, d’autres personnes s’activent. A l’image d’André Azoulay, conseiller du Souverain, qui use de son large réseau de connaissances de par le monde pour prêcher la bonne parole, en super VRP du dossier Maroc. L’intéressé le confirme volontiers : «Nous avons été saisis, de manière ponctuelle, à chaque fois que l’un d’entre nous pouvait apporter une pierre à l’édifice. Il s’agit avant tout d’une cause nationale».
Le politique peut-il avoir une influence notable sur la décision d’un organe dont les votants sont avant tout des membres de la FIFA ? Très certainement. D’ailleurs, certains pays comme le Mali, le Cameroun ou encore la France et l’Espagne ont incité leurs votants à donner leur voix au Maroc et c’est pourquoi, nonobstant ce qui se dit, on ne peut pas dire aujourd’hui, à 15 jours du tirage au sort, que les jeux sont faits.
Les jours qui viennent seront en effet décisifs. Des congrès de confédérations continentales vont avoir lieu et, pour quelques-uns, les consignes de vote seront entérinées. Ainsi, celui de la Concacaf (Amérique du Nord et Centrale) se tient les 1er et 2 mai. Saâd Kettani qui, au lendemain du match contre l’Argentine a pris l’avion pour la Grenade (Antilles), en profitera pour présenter encore une fois le dossier Maroc et tenter de rallier les trois votants. Parallèlement, le Maroc a été invité à disputer un match de football sur place contre une sélection de joueurs de la région. L’équipe nationale B s’est donc envolée mercredi 28 avril vers Grenade.
Autre congrès en vue : celui de la confédération asiatique qui se tiendra les 7 et 8 mai à Kuala Lumpur, en Malaisie. Là encore, Saâd Kettani, data show en main, et son équipe seront de la partie.
Les voix sud-américaines seront déterminantes
Viendra ensuite le congrès de la COMEBOL, la confédération sud-américaine qui dispose de trois voix, dont une argentine. Une étape cruciale pour le Maroc car, au sein de la COMEBOL, les votants ont l’habitude de se prononcer en bloc et, pour le moment, leur sensibilité va vers l’Afrique du Sud. C’est en ce sens qu’il faut apprécier l’opportunité de la rencontre amicale Maroc-Argentine du 28 avril. Une occasion de se rapprocher de l’opinion publique sud-américaine en général. Le match a en effet été retransmis par Eurosport, ART et, plus important, par des chaînes de TV argentines et même par une chaîne brésilienne. Sans oublier que l’Argentine peut influencer le vote des deux autres pays. «Les Argentins ne nous connaissent pas suffisamment, tout comme l’Amérique du Sud en général, et ce sera l’occasion pour qu’ils découvrent le Maroc», est-il expliqué auprès de Morocco 2010. D’ailleurs, l’équipe nationale d’Argentine était accompagnée d’une importante délégation, de 45 journalistes.
Les jours qui viennent seront donc déterminants. Pour mieux ratisser, le lobbying de la dernière ligne droite est entrepris par plusieurs acteurs. Ainsi, Saâd Kettani se concentrera sur les congrès, l’Europe et l’Asie. Saïd Belkhayate, figure connue dans le monde du football, prendra en charge l’Afrique, au regard de ses liens au sein de la CAF. Allen Rotenberg, le spécialiste des grands événements footballistiques des dernières années - il a organisé le Mondial 1994 aux Etats-Unis, la Coupe du monde féminine en 1999 et a fait partie de la commission technique FIFA pour le Mondial 2006 - s’occupera des Amériques.
Tout cela ne fait pas oublier la mobilisation en interne. Point important aux yeux de la FIFA, l’enthousiasme populaire, qui n’a cessé de croître au cours des dernières semaines, doit être maintenu, surtout que, maintenant, on commence à y croire dans les chaumières et au café du coin. Il faut dire qu’il y a eu un matraquage médiatique important. Spots télévisés, tracts, drapeaux et présence dans presque toutes les manifestations sportives du pays. Deux jours avant le match Maroc-Argentine, les radios nationales ont passé en boucle la chanson officielle Morocco 2010 et sur le terrain, des écrans géants ont diffusé le clip. Une action appelée à se poursuivre au cours des jours à venir. Mardi 4 mai, une émission intitulée «La nuit des pionniers» sera diffusée sur les deux chaînes TV nationales. Elle retracera le parcours de ceux qui ont fait la gloire du football national entre 1936 et 1986 (époque de Ben Mbarek, éliminatoires des Coupes du monde 1962 et 1970, Coupe d’Afrique 1976 et Coupe du monde 1986). Des épisodes en seront programmés d’ici au 15 mai.
Que reste-t-il donc ? Les stades ? Avec le dossier présenté, les chantiers entamés et les garanties présentées, il semble que cette fois-ci on ait dépassé cet obstacle.
Nelson Mandela, Desmond Tutu et David Beekham, atouts de l’Afrique du Sud
La sécurité financière ? Là encore le Maroc a pris les devants. En effet, les dépenses d’organisation prévues étant de 380 millions d’euros et les recettes de billeterie de 270 millions d’euros, le Maroc a pris l’engagement de combler le déficit éventuel, sans compter sur le budget que devrait débloquer la FIFA. Dans une démarche inédite dans l’histoire de la Coupe du monde, il a bloqué 140 millions d’euros dans un compte bancaire en Suisse.
Cela suffira-t-il ? Sans doute sommes-nous sur la bonne voie mais il faut compter avec l’Afrique du Sud. A partir des données recueillies sur le terrain, La Vie éco a pu reconstituer trois scénarios de vote concoctés par le Maroc, dont deux en notre faveur. Des membres de Morocco 2010 nous ont confié sous le sceau du secret que les scores actuels étaient très rapprochés et que l’issue reposera sur le vote de la COMEBOL.
En attendant, chacun affûte ses armes. L’Afrique du Sud, qui fêtait lundi 26 avril ses dix ans d’après-Apartheid, recevait Jospeh Blatter par la même occasion. Parmi les membres de sa délégation qui se rendra à Zurich le 14 mai, notre rivale compte sur Nelson Mandela, le révérend Desmond Tutu et l’idole David Beekham. Côté Maroc, des contacts seraient en cours avec Zineddine Zidane, Just Fontaine et bien d’autres. Il se pourrait même qu’une princesse nous fasse l’honneur d’accompagner la délégation marocaine en Suisse. Croisons les doigts.
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14-15 mai : la nuit des tractations
Reports de voix et constitution de blocs sont négociés avant le vote.
Pour contourner l’interdiction de parler aux votants, on use du biais diplomatique.
L’annonce du choix du pays hôte de la Coupe du monde 2010 sera faite samedi 15 mai à 11 heures GMT. Elle viendra clore une course effrénée de près d’un an entamée par les candidats. Point d’orgue de ce combat, les dernières 24 heures. En effet, la veille du vote, les cinq pays candidats auront l’occasion de présenter, selon un ordre de passage déterminé à l’avance (voir encadré), une dernière fois leurs arguments. Le Maroc passera en premier, tout comme il a été le premier pays à recevoir la visite des inspecteurs de la FIFA en octobre dernier. Simple hasard ? L’ordre de passage a été fixé par tirage au sort.
Pour des initiés, qui ont participé aux campagnes précédentes, la dernière présentation, celle du 14 mai en l’occurrence, est loin d’être une simple formalité, même si les dossiers techniques sont connus. «A l’issue des présentations, les favoris sortent du lot, le jeu est presque fait». Presque car, ensuite, va commencer une longue nuit de tractations. Théoriquement, il est interdit aux membres des délégations des pays candidats d’avoir des contacts avec les votants. Ce principe est respecté mais rien n’empêche d’avoir des contacts entre délégations. Quelle importance ? Le long travail de lobbying entamé par chaque pays permet à celui-ci de s’assurer quelques voix. Or, le vote du lendemain étant à plusieurs tours, la voix d’un pays éliminé ira grossir le vote en faveur de l’un des restants en course. (Par exemple si la Libye est éliminée au début, les intentions de vote russe, qui lui étaient favorables, iront au Maroc).
Le jour du vote, les jeux sont faits, à une ou deux voix près
C’est là que le rôle des délégations est crucial. Durant toute la nuit du vendredi au samedi, les émissaires de part et d’autres négocieront les reports de voix selon les différents scénarios. Pour contourner l’interdiction de parler aux votants, l’information remonte au niveau diplomatique et même, raconte un ancien membre de Maroc 2006, au plus haut niveau. C’est par le biais diplomatique (contacts entre ambassadeurs) que l’on joint le votant en question pour déterminer vers qui ira sa voix si le pays pour lequel il a voté est éliminé lors de l’un des tours.
Samedi, quand le vote commencera, les jeux seront faits... à une ou deux voix près. Car «il y a aussi des trahisons et des revers». Et que pèse Blatter ? En théorie, il a une voix et le pouvoir de trancher en cas d’égalité des voix, mais en pratique «il pèse beaucoup. En cas de jeu serré, il peut faire basculer le vote», nous ont confié plusieurs connaisseurs de la Fifa.
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Les dates à retenir
- 14 mai 2004 : dernière présentation des candidatures
Les présentations se font devant les membres du comité exécutif, au siège de la FIFA. Chaque délégation a 30 minutes de présentation et 10 minutes de questions et réponses. L’ordre de passage est le suivant (heures GMT) : 13h00 : Maroc ; 14h00 : Tunisie ; 15h00 : Afrique du Sud ; 16h00 : Libye ; 17h00 : Egypte. - 15 mai 2004 : vote et annonce du pays hôte du Mondial 2010
Le vote a lieu au siège de la Fifa. Il commence à 9 heures locales, soit 7 heures GMT. Quatre tours maximum sont prévus et, à l’issue de chacun, les votants éliminent un pays. En général, deux tours suffisent.
Le vote dure quatre heures et à 11 heures GMT le nom du pays hôte du Mondial 2010 sera officiellement annoncé au centre de presse de la Fifa
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Les trois scénarios du Maroc
Les hypothèses de base sont les suivantes :
Joseph Blatter (Suisse) votera pour l’Afrique du Sud au 1er tour. Au second, il donnera sa voix au pays qui aura recueilli le plus de voix au 1er tour. Lennart Johansson (Suède) a exactement la même tactique que Blatter.
L’Afrique du Sud dispose de 5 autres voix presque sûres qui sont celles de l’Ecosse, du Botswana, de l’Allemagne, du Costa Rica et du Tonga. Le Maroc dispose déjà de deux voix sûres : la France (Michel Platini) et l’Espagne (Angel Maria Villar Llona). 5 autres voix sont presque assurées. Il s’agit du Mali, du Cameroun, des USA, de la Thaïlande et de la Corée du Sud.
La Tunisie disposera au premier tour d’une voix sûre, celle du Tunisien Slim Aloulou. Au second tour, cette voix devrait aller vraisemblablement au Maroc.
Le Russe devrait voter au premier tour pour la Libye et reporter sa voix au second tour sur le Maroc.
Ce sont les votes des 8 membres restants qui détermineront réellement la suite de la compétition.
Les 3 voix d’Amérique du Sud iront vraisemblablement dès le 1er tour soit au Maroc soit à l’Afrique du Sud sauf grosse surprise. La voix de Trinidad et Tobago a de fortes chances d’aller au Maroc.
Le votant belge (1 voix) aura une stratégie de suiveur. Au premier tour, il votera pour un outsider. Mais au second tour, il reportera sa voix sur le pays qui a recueilli le plus de voix au 1er tour.
Pour le Qatarien deux possibilités : Egypte au 1er tour et Maroc au second. Ou Maroc dès le premier tour. Même chose pour le Turc : Egypte au 1er tour et Maroc au second. Ou Maroc dès le premier.
Comme le Belge, le Japonais pourrait être neutre puis suiveur. Il pourrait voter pour l’Egypte au premier tour et reporter sa voix au second tour pour le pays qui a recueilli le plus de voix au 1er tour
Dossier réalisé par F. Agoumi & S. Benmansour
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