10.000 jeunes présélectionnés à travers tout le Royaume, 32 finalistes et un Pied en or. Une histoire truffée de petits bonheurs.
Samedi 6 octobre, 5 minutes avant le ftour. Dans la salle à manger de l’hôtel La Corniche, 32 joueurs ont pris place les uns face aux autres et attendent. On sent qu’il y a une double pression qui monte. La première, due aux quelques minutes qu’il va falloir attendre encore (une éternité) avant de se jeter corps et âme dans le bol de soupe qui les nargue. La seconde, plus présente, plus stressante, ne retombera que dans un peu plus de quatre heures, au moment du coup d’envoi de la grande finale d’Al Qadam Addahabi, le Pied en or 2004. Premier coup de sifflet, celui de la rupture du jeûne. Les discussions s’arrêtent et la salle est noyée dans un concert de cuillères qui raclent le fond des bols, de verres qu’on remplit de jus et d’œufs durs qu’on tapote sur les tables. Assis au milieu de ses camarades, Hamada est le plus silencieux de tous. Une fois le repas terminé, les joueurs se lèvent et vont se détendre dans le grand salon ou au bord de la piscine. Hamada lui, disparaît dans sa chambre et n’en sortira que pour monter dans le bus qui l’emmènera au stade.
Un jeune homme serein et solitaire
Hamada a toujours été un solitaire. Dès le premier jour des présélections à Marrakech, candidats, organisateurs et staff technique avaient remarqué ce jeune de 19 ans. « Il était extrêmement réservé, se souvient Ramzi, un des deux concepteurs d’Al Qadam. Nous avions devant nous quelqu’un de très timide qui ne participait pas aux conversations des autres et qui ne riait pas à toutes les blagues. Ses camarades trouvaient cela bizarre, mais quand nous avons découvert qu’il était comme ça de nature, il a été complètement intégré au groupe ». 20h15, stade Mohammed V de Casablanca. Les deux équipes sont dans les vestiaires et se mettent en tenue. Hamada déroule un petit tapis et fait sa prière.
Les minutes passent très lentement pour les joueurs. Chacun d’eux sait qu’il joue sa carrière et son destin ce soir. L’équipe qui gagnera ira passer deux semaines de stage au Havre Athletic Club. De l’équipe perdante, il y aura 6 repêchés qui iront rejoindre les vainqueurs, mais personne n’a envie de vivre une pression de plus. Faire partie coûte que coûte de l’équipe gagnante et, pourquoi pas, être élu Qadam Addahabi et bénéficier d’un autre stage à l’OL (Olympic Lyonnais). Dehors, on prépare le grand show. La soirée sera diffusée en direct sur TVM et les joueurs espèrent qu’il y aura du monde sur le terrain. Après le Ftour, c’était l’heure des spéculations pour les équipes et les organisateurs. « On peut mettre combien de personnes à Mohammed V ? », « 60.000 au bas mot », « Et tu penses qu’il y en aura combien ? », « S’il y en a 5 ou 6.000, on peut s’estimer heureux »… 20h40.
Les joueurs sortent des vestiaires et vont fouler la pelouse du grand stade. Une grande partie de leur rêve est en train de se réaliser : jouer un match au stade Mohammed V qui sera diffusé en direct devant des millions de téléspectateurs ! Il y a quelques semaines, ils n’étaient encore personne. Ils sont soudain sortis de nulle part et comptent bien ne pas y retourner. Surtout que ces dernières heures, ils étaient les chouchous de plusieurs médias. Al Jazeera Sport, Al Arabia, TF1, l’Equipe TV, Canal +, France football, VSD et aussi la presse nationale qui, pendant plusieurs mois, s’était désintéressée d’AL Qadam mais qui a enfin compris que suivre des « inconnus » pouvait aussi être un événement.
Petit par la taille, grand par le talent
21h15. De retour aux vestiaires, les deux équipes suivent avec beaucoup d’intérêt les consignes des coachs. Hamada n’en est pas à son premier match important. Après avoir passé le bac il y a deux ans, il est parti au Qatar où il a joué, à l’âge de seize ans, en première division aux côtés d’Abrami et de Fernando Hierro. Il n’était pas une star, certes, mais à 16 ans, il avait déjà l’équivalent de 12.000 DH de salaire mensuel, une maison et une voiture offertes par son club. « Le jour où on m’a demandé de me naturaliser Qatari, j’ai refusé. Mon rêve est de jouer pour l’équipe nationale du Maroc ».
Au mois de mars, Hamada rentre à Marrakech pour quelques jours de vacances et lorsqu’il entend parler d’Al Qadam Addahabi, il décide de ne pas rejoindre l’équipe où il évolue. « Je voulais m’inscrire, tenter ma chance, jouer en amateur et recommencer à zéro ». 21h20. Visite surprise de Mohamed El Gahs, Secrétaire d’Etat chargé de la Jeunesse. Dans les vestiaires, les jeunes n’en reviennent pas. Une finale au Stade Mohammed V, une diffusion sur la chaîne nationale et là, un ministre qui les embrasse sur les joues en les félicitant un par un, en les encourageant pour la suite de leur carrière. C’en est trop, mais ce n’est pas fini. ہ l’instant où ils sortiront une seconde fois des vestiaires, ils découvriront qu’ils vont évoluer devant plus de 40.000 spectateurs. 32 gosses qui sortent de nulle part… 22h00. C’est le coup d’envoi. L’émotion est grande et les gestes un peu maladroits. Mais au fur et à mesure que les minutes passent, la confiance revient et après un quart d’heure de jeu, on a droit à un vrai match de foot.
Le public continue de voter par SMS pour celui qui va être Al Qadam Addahabi. Bernard Lacombe, directeur technique de l’OL, est « impressionné par la qualité du jeu ». Pour l’instant, Alaoui Taha (Rabat) et Mehdi Biari (Casablanca) sont en tête du classement. Hamada joue milieu de terrain juste derrière ses attaquants. Les SMS le placent au milieu du peloton mais le temps de deux feintes et trois dribbles, il va remonter et dépasser tout le monde… Et de loin. A la fin du match, il fera partie de l’équipe perdante (1-0), mais il est vite repêché par le jury. Et quand l’animateur prononcera son nom pour le trophée d’Al Qadam Addahabi, il lèvera les mains au ciel et s’évanouira. « Ce n’était pas au programme, dira-t-il quelques heures plus tard. Lorsque j’ai entendu mon nom, j’ai crié de joie et quand j’ai voulu aspirer de l’air, plus rien ne rentrait. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai perdu connaissance ». Pour Hamadi Hmidouch, membre du jury, la décision du publiqc est juste. « Il y en avait quatre ou cinq qui méritaient le titre mais Hamada, malgré son 1m66, a su se démarquer ».
Standing ovation
Lundi 18 octobre, Marrakech. Dans son quartier, Hamada est accueilli en héros. Une « deqqa marrakchia » est improvisée et de son quartier jusqu’au grand boulevard de Gueliz, il est porté par des gens qu’il ne connaît pas. Mais peu importe, il vient de réaliser son rêve. Mardi 19 octobre, Casablanca, très tard dans la soirée.
Dans leur chambre d’hôtel, Ramzi et Othman Benabdeljelil, les concepteurs d’Al Qadam Eddahabi, n’ont pas encore eu le temps de savourer leur victoire. « On va d’abord faire les comptes, Ensuite, on va prendre un peu de vacances avant d’attaquer Al Qadam Addahabi 2005 ». Vivement d’autres Hamada.
Yassine Zizi
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Merci d'ajouter votre commentaire ici