Par Réda Allali
L'équipe nationale est aujourd'hui idéalement placée pour décrocher son ticket pour la coupe du Monde 2006. Et si la magie de la CAN tunisienne n'était pas un feu de paille, mais bien le début d'une grande aventure ?
N ous les avons laissés il y a à peine plus d'un an à Tunis. Partagés entre la fierté d'avoir réalisé un parcours magnifique – notre plus belle performance depuis 1976 – et la déception de ne pas avoir fait mieux. Le public marocain, cruellement privé d'occasions de rêver, s'était enflammé pour cette équipe
sympathique, qui avait du coeur et du football à revendre.
Aujourd'hui, l'enthousiasme n'est pas retombé. Les Lions de l'Atlas jouent devant des stades archi-combles, trustent les spots publicitaires et les conversations de café. Normal, ils gagnent. à quatre matches à peine de la clôture des éliminatoires pour la coupe du monde 2006, ils sont leaders de leur groupe, en pôle position pour déclencher une qualification qui fait saliver tout le monde. Quatre matches, donc : c'est à la fois simple et compliqué. Simple parce que le calendrier nous est favorable avec deux matches à domicile à priori faciles contre le Bostwana et le Malawi, un déplacement périlleux au Kenya (ou l'équipe locale, en altitude, arrive à battre tout le monde, alors qu'elle est insignifiante hors de ses bases) et enfin une finale à Tunis. Mais aussi compliqué parce que - nous le savons bien - les Marocains ne sont jamais autant en danger que lorsqu'ils sont donnés favoris.
Pourtant, les raisons d'espérer sont bien réelles. à commencer par l'état d'esprit, intact depuis l'épopée tunisienne. Abdesslam Ouaddou raconte : "Nous sommes en contact permanent. Walid Regragui et moi, on s'appelle quasiment tous les jours. Il y a aussi MSN : on est tous connectés et on tchate régulièrement". Restons avec Ouaddou, qui est mieux placé que quiconque pour parler de la nouvelle ambiance chez les Lions. Il avait en effet quitté la coupe d'Afrique 2002 en pleine compétition, ulcéré par l'ambiance malsaine. Aujourd'hui, l'homme respire l'air de la selection avec bonheur : "Il faut reconnaitre que la discipline de Zaki est pour beaucoup dans cette ambiance. Par exemple, il impose qu'on prenne le petit déjeuner ensemble, qu'on se serre tous la main. ça a l'air naturel, mais ça ne l'était pas. Avant, on se parlait à peine..." Paradoxe : l'entraîneur à la rigueur germanique, l'instransigeant des horaires, le maniaque de la sieste qui réprimande des joueurs qui traînent dans les couloirs au lieu de se reposer, a créé une ambiance conviviale par sa discpline... à méditer.
Si l'entraîneur a su imposer des règles de vie, il a su également s'appuyer sur des joueurs-cadres capables de relayer son discours auprès des plus jeunes. Marwane Chamakh raconte : "Tu sais, Walid Regragui passe un temps fou à nous parler, à nous motiver. Il nous repète les enjeux de tel match, pourquoi il faut se défoncer, le chemin qu'il reste pour arriver en Allemagne". Car c'est bien là le moteur principal du groupe : l'envie de se retrouver ensemble en 2006 en Allemagne pour une nouvelle aventure tant humaine que sportive. Walid Regragui : "Je crève d'envie de me retrouver en stage à Marbella, pour préparer la Coupe du monde. On veut revivre ce qu'on a vécu en Tunisie. Si cette génération de gamins, les Chamakh, Zairi, ils font la coupe du monde, ils iront très loin après". C'est le grand frère qui parle, le parrain de la nouvelle génération, qui s'amuse à appeler tout le monde gamin, qui sait passer de la rigolade au discours sérieux. Celui qui dans le hall de l'hôtel Sheraton, a passé de longues minutes avec Bobo Balde, le défenseur guinéen expulsé lors du match de Rabat, avant de nous livrer son analyse : "Il y a des matches comme ça qui basculent sur un rien. On peut faire match nul, mais on gagne, c'est l'état d'esprit qui fait la différence, pas la valeur technique, l'envie de se défoncer pour ses potes".
Le paradoxe, c'est que les potes en question ont changé. Zaki a refusé de laisser les héros de Tunisie se reposer sur leur lauriers, il a au contraire instauré dès le début des éliminatoires une concurrence féroce. Il y a eu quelques disparitions remarquées (Mokhtari, placé sur le banc de touche en raison d'une méforme tenace), et il y a eu l'arrivée massive de joueurs "hollandais", ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes de communication. C'est ainsi que Naybet, par exemple, en plein match d'entraînement, s'est trouvé incapable de communiquer avec ses coéquipiers. Voulant leur demander de se replacer en défense et privé de vocabulaire batave, il s'est retrouvé à hurler "Beckenbauer ! Beckenbauer !", convaincu sur le coup que le nom de l'illustre défenseur allemand allait faire comprendre aux germanophones qu'il fallait revenir en défense. Un truc dont lui même rigole encore... Naybet, justement, qu'on a longtemps présenté comme un ogre qui effrayait les nouveaux venus, les écrasant de sa présence et de son autorité naturelle sur le terrain, a su se mettre en retrait pour laisser la nouvelle génération se prendre en main. Il joue désormais le rôle non pas du grand frère, mais carrément de l'oncle de la famille des Lions – mettant son énorme expérience au service du groupe. Tonton Naybet, qui nous réserve une fin de carrière à la Baresi, rien de moins – et qui rêve de terminer sur une Coupe du monde enfin réussie.
Car tous les éléments sont réunis pour, comme ils disent, "aller en Allemagne et faire quelque chose là bas". Il y a dans ce groupe du talent, des joueurs décisifs en attaque : Yousssef Hadji, qui a su répéter le but de son grand frère contre l'égypte, Marwane Chamakh, monstrueux dos au but et dans son jeu de remise, et Jawad Zairi, qui reste un poison permanent pour les défenses, malgré son déchet important. Il y a un milieu de terrain solide, symbolisé par un Youssef Safri régulier, et enfin une défense solidaire. S'il y a une zone d'ombre, c'est celle du gardien de but. Sinouh, malgré ses deux titularisations, n'a pas convaincu grand monde et semble fébrile sur ses sorties aériennes. Sans aller jusqu'à évoquer l'inimitable Benzekri, disons que la défense n'est pas rassurée. Du talent, donc, mais aussi de l'expérience, acquise en particulier lors de la défaite en finale contre la Tunisie.
Avec le recul, les joueurs avouent eux mêmes s'être vus trop beaux lors de la douloureuse confrotation décisive: "On nous a tellement répété que la Tunisie nous était inférieure sur le plan du jeu qu'on a oublié qu'il y avait un match à gagner sur le terrain. En plus, il y a eu des problèmes de discipline : comment expliquez-vous que la veille du match, il y avait des centaines de supporters à l'hotel jusqu'à onze heures ou minuit ?"... Ce match loupé a laissé des traces. Il a été suivi par une autre contre-performance contre la même Tunisie à Rabat, notre seul faux pas dans ces éliminatoires. Espérons que la leçon a été retenue, et que la troisième confrontation, en septembre prochain à Rades, servira de revanche.
Mais, en gagnant tous nos matchs et en espérant une défaillance possible de la Tunisie dans leur parcours difficile, il est possible de faire de ce rendez-vous une simpe formalité. Les Lions 2005 en ont les moyens et l'envie. Et, depuis 1998, c'est bien la première fois que ces deux éléments sont réunis...
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