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Pied d’Or: De l’opium au podium

Source : telquel

Par Chadwane Bensalmia


Ils ont une paire de jambes et des rêves de célébrité. Ce sont les 75 candidats à avoir passé les éliminatoires du Pied d’Or. Dans la rue, on les reconnaît déjà, on les félicite, on commente leurs gestes techniques. Eux, du coup, redoublent l'appétit.



"Hier, avec mes potes du quartier, on a joué contre une équipe de Goulmim. Quelques joueurs de l’équipe adverse m’ont reconnu. Dès qu’ils ont réalisé que j’étais finaliste de la sélection du Pied d’Or, ils se sont mis à me traiter comme une véritable star. En fait, depuis ce jour, je vis ça au quotidien.


Même ma famille me traite différemment. Je suis plus gâté…" avoue Abderrazak Khatir, dans un éclat de rire. Il faut dire que le jeune garçon a de quoi être fier. Disqualifié à la station Agadir du Pied d’Or, il n’a pas baissé les bras et a suivi la caravane à Marrakech. Manque de bol, à son arrivée, les compétitions avaient déjà commencé. Il recommencera à Safi et finira par décrocher sa place parmi les finalistes. Khatir n’est d’ailleurs pas le seul sur le registre de la ténacité. Bon nombre de ces jeunes candidats sont de grands challengers. Et l’avant goût de célébrité auquel ils ont eu droit après cette première étape est parti pour pousser les uns et les autres à se surpasser. Tous ont un objectif et un seul. Sortir de l’anonymat, être reconnus et aimés de tous. Plus que tout, ils veulent qu’on parle d’eux. La célébrité, la reconnaissance et l’amour des foules, c’est toute la définition qu’ils donnent au mot star. La fortune ? Oui, pourquoi pas ? Mais ça n’est jamais que la cerise sur le gâteau. "L’argent, je m’en fous. J’ai juste envie d’être aimé. Je veux que les gens me regardent différemment. Jusqu’à ce que jour, je n’ai été que weld l’khayriya (l’enfant de l’orphelinat) et ça ne suscite jamais que le mépris. Si je devient une star, on oubliera mes origines. Seuls mes performances compteront" Mohamed Kacimi, pensionnaire de l’orphelinat de Fès voit désormais le bout du tunnel se profiler. Depuis sa sélection pour la deuxième phase du Pied d’Or, c’est un jeune homme plein d’espoir et de volonté. Tous les jours, avec son voisin de pensionnat et autre finaliste Nabil Antara, ils se livrent à 6 heures d’intense préparation. Ce dernier avait lui, terminé sixième à Meknès. Les organisateurs ayant sélectionné cinq finalistes seulement, il avait été placé sur la liste d’attente. Un verdict que Nabil a refusé. Il a alors rejoint la caravane à Fès. Au bout de la deuxième tentative, il aura gain de cause. Et à l’image de son ami, l’argent est la dernière de ses motivations. Si, un peu, de quoi vivre décemment. Cette quasi indifférence à l’égard de l’argent est partagée par tous, et l’ambition première reste celle de se distinguer dans ce qui est "leur passion".


Pour participer aux éliminatoires, certains ont dû parcourir des centaines de kilomètres ou emprunter de l’argent pour s’acheter des baskets. D’autres ont, à leur élimination, pleuré toutes les larmes de leur corps. Tel sera le cas de ce jeune candidat de Fès qui déclarera à l’annonce des résultats qu’il "ne jouera jamais plus au foot". Il sera pourtant présent parmi les prétendants d’Al Hoceima. C’est la force du rêve. Ils se voient déjà en haut de l’affiche.


Sans perdre de vue l’éventualité d’une défaite au second tour, à Casablanca, ils se projettent dans l’avenir, dans la peau et la posture de leurs idoles. Là-dessus, Hicham Harchaoui, finaliste de Lâayoun ne se plaint pas de sa frappante ressemblance physique avec Jawad Zaïri "Avant le Pied d’Or, j’étais connu pour être le sosie de Zaïri, maintenant, on se souvient même de mon prénom". Hicham est conscient que c’est là un atout, mais s’empresse cependant d’ajouter "Je voudrais en être digne. Le foot, c’est ma vie. C’est d’abord pour ça que j’aimerais y faire carrière".


Hamada, un autre candidat, de Marrakech cette fois-ci, a d’ores et déjà l’étoffe d’une star. Le numéro 9. Tous ceux qui ont suivi les qualifications se souviennent de ce jeune garçon qui du haut de son mètre soixante-six, a mis tout le stade sens dessus dessous. De son poste d’observation, Timoumi aura de mal à dissimuler son émotion. "Aujourd’hui, les gens m’interpellent dans la rue, me félicitent. Quelques uns veulent faire ma connaissance. Mais je pense qu’il est trop tôt pour dire que je suis une star". La tête froide mais une grande intelligence, sur le terrain comme dans la vie, qui lui vaut de grandes promesses. Car plus que tout, Hamada sait se vendre. Ce Maroco-égyptien vient à peine d’obtenir sa nationalité marocaine, et entend défendre le "maillot de son pays". Force est ainsi de constater que tous ces adolescents ont les mêmes noms sur les lèvres. D’abord Zaïri, puis Hajji, Mokhtari… et les autres. Bien sûr, on parle aussi de Beckham, de Ronaldinho, de Zidane ou encore de Del Piero, mais les premiers auxquels ils s’identifient sont leurs compatriotes. Il faut croire que les exploits de leurs congénères leur ont redonné confiance et ont accentué leur sentiment de patriotisme. Jouer parce que le foot coule dans leurs veines, mais au bout, représenter dignement le Maroc.


En attendant la vie dans le centre de formation à Casablanca, les finalistes de chaque ville s’entraînent ensemble quotidiennement, avec comme maîtres mots, la rigueur et la discipline. Ils sont conscients qu’une fois à Casablanca, ils devront faire face à une rude concurrence. Et des 75 futurs locataires, restera seulement une trentaine.


Mais la vie dans le centre, c’est aussi les caméras, la visite de leurs stars préférées, un semblant de vie de footballeur. Et être parvenu à ce stade de la compétition, c’est déjà une grande victoire. Une chance de se faire remarquer, car parmi le public de l’émission, les "recruteurs" des clubs casablancais seront de fins et réguliers observateurs. "Certains de ces jeunes ont déjà signé avec des clubs, mais jamais on ne leur a donné la chance de faire leurs preuves. Ils ont donc déprimé et perdu espoir" commente Mohammed Timoumi, membre du jury. A N.Antara, ce finaliste de Fès dont il est l’idole comme aux autres, Timoumi répond "qu’il faut faire les choses graduellement. Le statut de star, ça se construit. Mais le premier secret de toute réussite est la persévérance et la rigueur dans l’entraînement". Certes, mais la performance seule ne suffira pas, car à Casablanca et au bout de l’aventure, les verdicts objectifs d’un jury connaisseur ne seront plus les seuls à décider de leur avenir. Les règles du jeu de la télé-réalité veulent que le public soit juge. Et le public, il faut le séduire, le charmer. Plus qu’une paire de jambes, les challengers auront besoin de convaincre et de vendre une image. La défaite, sera dure à avaler pour certains. D’autres affirment déjà qu’il faut s’attendre à tout, car "le foot c’est un peu comme la vie, quelquefois elle vous gâte et d’autres elle vous prive".


Mais au final, et au pire, même ceux qui perdront pourront se consoler d’avoir eu leur quart d’heure de gloire.

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