- Continuité dans le jeu, esprit tourné vers l’offensive, solidarité, tels ont été les clés du succès lors de la CAN 2004.
- Ces valeurs sont en reflux, depuis le début des éliminatoires du Mondial 2006. Accusé principal : Baddou Zaki.
- Appliquant un système ultra-défensif, tout en repli arrière, l’équipe nationale ne brille plus. Retrouvera-elle son lustre à Radès ?
Le 16 février 2004, après l’héroïque expédition tunisienne, Baddou Zaki est partout porté en triomphe. Au soir du 3 septembre dernier, pendant que la sélection marocaine balbutie son football devant un apathique Botswana, il est pris à partie, houspillé et prié de s’en aller, à coups de «Zaki dehors !», puis en des termes plus imagés. L’entraîneur national aura, en un peu plus d’une saison, dégringolé de son piédestal pour être voué aux gémonies. Pourquoi tant de haine ?, ne manque-t-on pas de se demander à la vue de cet homme accablé qui semble demander grâce à la foule déchaînée. Retour en arrière.
Nous sommes au printemps 2002. Les Lions de l’Atlas viennent de se voir fermer les portes du Mondial. Humberto Cuelho n’en n’a pas trouvé le sésame. Il n’est pas remercié pour autant, mais la fédération lui «inflige» charitablement un second, qui l’épaulera profitablement. Ce sera Baddou Zaki. Mais le Portugais n’est pas dupe, il subodore dans cet acte l’expression d’une disgrâce. Il prend aussitôt ses cliques et ses claques. Le fauteuil est vacant, Zaki s’y installe, avec la bénédiction de la fédération.
Succédant à Cuelho, Zaki s’impose dès sa nomination
L’opinion publique, relayée par une grande partie de la presse, voit (déjà) d’un mauvais œil cette promotion. Zaki ne serait pas taillé pour cette tâche, si l’on en jugeait par ses échecs cuisants comme entraîneur successivement du FUS, du Sporting de Salé, de l’Association sportive de Salé, du Chabab de Mohammédia, du KACM et du WAC. Devant cette attaque en règle, le nouvel entraîneur n’avance ni ne recule, il ne bronche pas, se contentant de dire qu’il aimerait «être jugé sur [ses] résultats».
L’occasion lui en est offerte par les éliminatoires de la CAN 2004. Le groupe dont hérite le Maroc ne comporte aucune grosse cylindrée, seulement des faire-valoir, sur lesquels il exercera son ascendant. Il commence par s’offrir le Gabon dans son fief, pulvérise la Guinée Equatoriale, marque le pas devant la Sierra Leone, puis s’impose par la plus courte des marges contre la même équipe, avant de triompher, aux matches retour, contre le Gabon puis la Guinée Equatoriale. Cinq victoires sur six possibles, un nul, aucune défaite, dix buts marqués, zéro but encaissé. Les détracteurs rengainent leurs critiques. Zaki est épargné momentanément au bénéfice du doute.
Quant le Maroc, flamberge au vent, aborde la CAN 2004 en Tunisie, le doute se dissipe peu à peu. Cette fois, les adversaires sont imposants, sans pouvoir en imposer à une formation qui présente fière allure. Pas de surprise : l’exploit de cette CAN, c’est bien l’invraisemblable parcours de ces Lions superbes et généreux, passés, au fil des confrontations, de challengers en prétendants conquérants au sacre. Une épopée en six actes : le redoutable Nigéria ne fait pas le poids devant un Maroc transfiguré ; le Bénin se révèle trop tendre pour éviter une déculottée ; face à l’Afrique du Sud, le Onze national ne force pas son talent et se contente d’un nul ; il s’est réservé pour le match contre l’Algérie, où il renverse radicalement une situation longtemps compromise ; enfin le Mali, par ses boulevards ouverts, lui offre une promenade de santé. L’épilogue sera moins flamboyant : fatigué par tant d’efforts, il laisse filer la victoire finale, payant ainsi le tribut d’une boulette de son gardien et d’un placement approximatif de ses défenseurs. Mais on conservera religieusement le souvenir des faits d’armes de la bande à Zaki. Et des images : Chemmakh qui n’a pas son pareil pour monter très haut dans le ciel, toujours plus haut que ses partenaires et adversaires, et pour y déclencher une frappe de la tête que son long cou rend puissante et imparable ; Zaïri qui multiplie les tours de passe-passe balle au pied, dansant une sarabande autour de ses adversaires ; Yaagoubi et la délicatesse de sa touche de balle, sa technique malicieuse, sa frappe travaillée et tourbillonnante, sa pré-vision du jeu ; Naybet retrouvant ses jambes de vingt ans et se constituant en donjon imprenable.
Aux éliminatoires du Mondial 2006, le ciel lui est tombé sur la tête
Il est indiscutable que l’exceptionnelle prestation de la sélection marocaine est le fruit du travail accompli par Zaki. L’opinion publique lui en est reconnaissante, la presse fait amende honorable, les éloges pleuvent dru sur ses lauriers fraîchement cueillis. En somme, tout baigne pour cet amateur de chasse sous-marine. Jusqu’à l’été 2004.
Les éliminatoires du Mondial 2006 débutent. Encore une fois, le hasard du tirage au sort oppose le Onze national à des équipes qui sont loin d’être des foudres de guerre. A l’exception de la Tunisie, mais, d’après de savantes supputations, la messe serait dite avant l’ultime confrontation, à Radès. Puis patatras ! le ciel nous tombe sur la tête. Le pâle Malawi tient la dragée haute à l’équipe nationale, qui lui concède le nul. Au Botswana, elle obtient une victoire à l’arraché. Face à la Tunisie, à Rabat, elle perd complètement son football et ne doit son salut qu’à un jaillissement rageur de Talal El Karkouri.
Mais, au-delà des modestes résultats enregistrés, c’est le jeu fourni qui décontenance, irrite, alarme. Où est passé cet alliage de virtuosité technique, de puissance athlétique et d’hyper polyvalence démontré lors de la CAN 2004 ? Pourquoi le quatuor béni - Hajji, Chemmakh, Mokhtari, Zaïri - qui, en Tunisie, transperçait les murs les plus épais (10 buts) - sombre-t-il dans un mutisme inquiétant ? Il n’y a pas de mystère, vous lance-t-on, la pierre doit être jetée à Zaki. Aurait-il perdu soudainement la main, ce qui serait le comble pour un ancien goal ? A cet égard, Abderrazak Misbah, journaliste sportif à l’Ittihad Alichtiraqi, se montre prudent : «Je ne suis pas en mesure d’émettre un jugement de valeur sur Zaki. Je préfère évaluer son rendement. A la CAN 2004, il a présenté une formation superbe. Après la CAN, ses résultats ne correspondent ni à ses promesses ni à nos attentes. Il y a, comme qui dirait, une baisse de rendement». Le bimensuel Annoukhba, lui, ne prend pas de gants et dénonce franchement l’incompétence de l’entraîneur : «Si nous avons effectué ce parcours brillant en Tunisie, ce n’est pas grâce au sens tactique de Zaki, ainsi qu’il le prétend, mais grâce au génie et à la combativité des joueurs. Car Zaki ne possède aucune ligne tactique et encore moins stratégique». Karim Idbihi, directeur de Al Botoula, abonde dans le même sens. Beaucoup vont encore plus loin, attribuant les mérites de l’équipe nationale au savoir-faire de Abdelghani Bennaciri, qui aurait été, selon eux, le cerveau du groupe.
Il congédie son adjoint Bennaciri et reste seul maître à bord
Parvenue aux oreilles du bouillant Zaki, cette affirmation le fait sortir de ses gonds. Il manœuvre alors pour éjecter Bennaciri, y parvient, puis l’enterre avec cette formule ahurissante : «C’est un malade mental». Manque de tact, diriez-vous, assurément, mais le tact n’est pas son fort. Ses prédécesseurs en font les frais: «Avant que je ne sois nommé à la tête de l’équipe nationale, celle-ci était incapable de franchir le premier tour de la Coupe d’Afrique, malgré les formidables individualités qui la composaient. Cela était dû à la maladresse des entraîneurs d’alors», se vante-t-il. Au fil des rencontres des éliminatoires du Mondial 2006, Zaki fait le ménage autour de lui, balayant ceux qui risquent de lui faire de l’ombre et dégageant en touche les fortes têtes parmi les joueurs. Youssef Chippo, par exemple, élément précieux, n’est plus appelé, les Rajaouis ont droit à la banquette, Naybet se retrouve dans la ligne de mire du tonton flingueur.
Sur ce, se profile le match contre le Kenya, à Naïrobi. Contre toute logique, Zaki embarque sa troupe à destination des sables d’Abou Dhabi, lieu non adéquat pour la préparation d’un match en altitude. A la veille de la rencontre, il annonce à Naybet sa décision de ne pas l’aligner. Le capitaine des Lions en prend ombrage, il s’empresse d’ameuter une certaine presse à la gâchette facile. Le retour de Zaki au Maroc est accompagné d’un rugissement de tempête. Même ceux qui considéraient Naybet comme une relique respectable, affichent sévèrement leur indignation. D’autres voient dans cette éviction une manifestation d’ingratitude. Ainsi Omar Anouari de La Gazette du Maroc. «Il est cruel de virer un joueur qui a fait les beaux jours de la sélection, depuis 1988, alors qu’il était encore cadet. Ne serait-ce que par reconnaissance pour son apport, on aurait pu attendre la fin de la phase éliminatoire», nous fait-il remarquer. Soit, sauf qu’on ne peut pas composer une équipe performante avec de bons sentiments. Et puis, l’entraîneur est libre de ses choix. Du reste, Zaki le clame haut et clair. Interrogé à propos de l’éviction de Naybet, il nous fournit cette réponse : «J’ai des responsabilités et des prérogatives. Alors, je les exerce en mon âme et conscience. Si je juge utile de convoquer un joueur, je le fais librement, quand j’estime nécessaire, dans l’intérêt de l’équipe, d’écarter un joueur, je le fais aussi librement. Personne n’a le droit de m’imposer ses convictions».
La communication est un art difficile dans lequel il n’excelle pas
Si Zaki tenait toujours ce discours, personne ne trouverait à redire. Le malheur, c’est que, pressé de se justifier (de quel droit ?), il s’embourbe dans des contradictions pathétiques. Abdellatif Fadouach, journaliste à Assahra Al Maghribia, qui a suivi de près le litige entre Zaki et Naybet, nous rapporte que le premier explique sa décision tantôt par une blessure du joueur, tantôt par sa méforme, parfois par le fait qu’il fait banquette dans son club... Il faut dire que la communication est un art difficile dans lequel le sélectionneur national n’excelle pas vraiment. De propos abscons en explications complexes, il en ressort une image brouillée.
Par bravade, Zaki a toujours mis en avant sa condition d’homme libre, une liberté qu’il voudrait carapace, et qu’il exerce parfois. A preuve, lorsque Housni Benslimane, alarmé par les remous qui agitent l’équipe nationale, a proposé à Zaki, à trois jours du match contre le Botswana, de reprendre Naybet et se faire seconder par les techniciens Abdelghani Bennaciri et M’hamed Fakhir, ce dernier a refusé net. Mais il n’est pas souvent aussi cohérent. Ainsi, aux questions précises, parfois anodines, posées par les journalistes à propos du jeu décousu du Maroc lors de sa confrontation avec le Botswana, ont répondu des formules alambiquées, un écheveau de phrases contradictoires. Un coup, il sort cette formule abracadabrante : «Vous reprochez à mon équipe sa manière de jouer. Moi je vous dis que pour voir du spectacle, il faut se rendre au cirque».Puis, il se reprend de manière confuse : «Nous avons préféré le résultat à la manière. A ce que je sache en football, les deux vont de pair. Certes, il y a des exceptions, et parfois des accidents, mais la manière paye généralement en foot».
En Tunisie, Zaki joue sa tête
La manière, voilà où le bât blesse. A en croire Ahmed Belkahia, du magazine Le présent, Zaki s’en soucie peu : «C’est probablement son réflexe de gardien de but qui ressurgit, vu qu’il applique un système ultra-défensif, tout en repli arrière et en attentisme. Les constructeurs n’y ont pas leur place, les milieux récupérateurs s’y taillent la part du lion, les buts ne peuvent venir que de balles arrêtées». Ce qui explique que des stratèges de la trempe de Boukhari, Skitioui ou Yaagoubi, se voient rejetés. A propos du dernier nommé, Abdellatif Fadouach observe qu’il n’est plus en odeur de sainteté auprès de Zaki depuis le match amical contre le Togo, au terme duquel les deux hommes ont eu des mots. Ajoutant que le sélectionneur est coutumier du fait, avec des incidences fâcheuses sur le moral des troupes. «Il pourrit l’ambiance, les résultats s’en ressentent», s’écrient Ahmed Belkahia, Abdellatif Fadouach et Karim Idbihi, dans un bel ensemble.
Au concert des blâmes, Baddou Zaki, depuis peu, ne prête plus oreille. Il laisse dire, se contentant de répéter à l’envi : «Pour l’heure, seul le match du 8 octobre me préoccupe. Je me concentre dessus. Nous sommes sur la bonne voie et nous arracherons la victoire. Je vous le promets». Le match contre la Tunisie sera un match couperet. Zaki y joue sa tête. Pour peu qu’il l’ait, pour une fois, sur les épaules, il la sauvera et l’honneur des Marocains avec.
Et-Tayeb Houdaïfa
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